Vélo et commerce: Frédéric Héran répond à Laurent Vastel

Auteur: FARàVélo

Date: 12 mars 2021 19:44

 

Le 26 janvier 2021, le Maire de Fontenay-aux-Roses M. Laurent Vastel a commenté une étude de 2004 de l'Ademe, l'agence publique pour la transition écologique. L'étude en question montre l'impact positif du vélo sur le commerce de centre-ville, et elle conclut qu'« il est temps que les commerces de centre-ville et de proximité arrêtent de réclamer des parkings et prennent conscience de leur compatibilité avec un développement durable et l’utilise comme argument de vente auprès des clients ».

Dans son papier, M. Vastel qualifie l'Ademe comme « Une curieuse agence qui produit des études qui sont le plus souvent des manifestes de lobbys de la green économie plus que des études ayant un minimum de rigueur scientifique et susceptibles d’être utiles aux décideurs publics ». Le texte intégral du papier est accessible ici et en bas de cet article.

L'auteur de l'étude, le chercheur Frédéric Héran, maître de conférence en économie à l'université de Lille, a souhaité répondre à M. Vastel. Il lui a demandé de publier son droit de réponse sur son site, ce qu'il n'a pas fait. M. Héran a alors demandé à FARàVélo, association vélo dans la ville de Fontenay-aux-Roses, de publier sa réponse, publiée ci-dessous.

Dans sa lettre, M. Héran propose généreusement à M. Vastel de co-encadrer un.e stagiair.e pour vérifier qu'à Fontenay-aux-Roses la dynamisation du commerce local suppose de favoriser les déplacements à pied et à vélo au lieu de miser sur le transit automobile. M. Vastel avait déjà indiqué sur Twitter qu'une telle étude l'intéressait (ici). Nous souhaitons vivement que M. Vastel saisisse cette opportunité unique de bénéficier de l'aide du spécialiste de référence des mobilités actives en France!

Le droit de réponse de Frédéric Héran

 

Le texte du papier de M. Laurent Vastel:

Etude (pro-)vélo ADEME/Fubicy: une affaire qui roule. Mais pour qui?

L’étude Adème /Fubicy citée très régulièrement par certains partisans du vélo mérite d’être lue.

Rappelons que ses conclusions vont dans le sens d’un intérêt économique à la suppression des voitures en centre-ville. Cette étude au nom de laquelle tous ceux qui souhaitent nous faire consommer « vélo » mérite de ce fait une attention particulière : est-elle démonstrative et permet-elle d’appuyer sur ses conclusions des décisions de très fort impact financier et imposant de façon contrainte de significatives modifications de comportement chez nos concitoyens ?

Une première remarque : il s’agit d’une enquête menée intégralement par… des responsables d’associations de cyclistes urbains, membres de la fédération Fubicy, volontaires… Apparemment la notion de conflit d’intérêt est ici inconnue… Les militants pro-vélo volontaires (donc militants) étaient censés interroger les habitants « au hasard » à la sortie des magasins, et poser les questions de façon non inductive…

Rien que ce premier biais suffirait à disqualifier une telle étude. Un peu par exemple comme si on demandait à des militants du parti communiste de faire un questionnaire sur l’action de Nicolas Sarkozy comme président et d’interroger « au hasard » les citoyens de façon « impartiale ».

La présence d’un seul encadrant scientifique, Frédéric Héran, censé donner une crédibilité scientifique à l’étude, explique sans doute les nombreuses précautions rédactionnelles sur la valeur de ce travail, précautions vite oubliées par les militants pro-vélo…

On peut ainsi lire : « Compte tenu des délais de travail très courts et des moyens financiers limités, il n’a pas été possible de s’entourer de toutes les garanties de scientificité indispensables… » (p.26)

Curieuse formulation, si elles sont indispensables, que vaut l’étude ?

Et en effet, quelques lignes plus tard …

Sur la représentativité géographique : « comme il a fallu utiliser des enquêteurs volontaires issus d’associations de cyclistes urbains membres de la Fubicy, le choix des villes a été contraint par l’existence d’enquêteurs disponibles. Aussi les grandes villes de province (Lille, Nantes, Grenoble, Strasbourg) sont-elles sur-représentées au détriment des villes moyennes (Dijon et Salon de Provence). Il convient d’éviter de généraliser trop vite les résultats obtenus aux agglomérations de moins de 200 000 habitants… » (p.27)

Sur la représentativité des commerces : « Il a été décidé de privilégier des commerces de taille moyenne pour disposer d’un flux de clients suffisant à interroger. Ce qui exclut les petits commerces » (p.27)

La représentativité par âge : « les jeunes de 18 à 24 ans représentent plus du quart des personnes enquêtées. Ce qui s’explique par la nature de certains des magasins (ex : Le Furet du Nord, grande librairie lilloise), le caractère universitaire des villes choisies et la présence importante des jeunes dans les centres-villes) » (p.27)

Au total, vouloir généraliser les résultats de cette étude à autre chose que des centres-villes de grandes villes universitaires est impossible, de par la structure même des échantillons choisis, et a fortiori à de petites villes de moins de 30 000 habitants. Pour ce qui concerne les magasins, on ne parle ici que des grosses structures et jamais de petits commerces, et pour les clients, l’échantillon n’est en rien représentatif de la population générale, les jeunes étant significativement sur-représentés, pour les villes, comme déjà évoqué, il ne s’agit que de grosses agglomérations urbaines universitaires hyperdenses !

Pour ce qui concerne le montant des dépenses, il est observé que les clients en voiture dépensent plus à chaque visite que les cyclistes, mais que sur un temps plus long, la semaine, ce sont les cyclistes qui dépensent plus.

L’interprétation logique est de penser que ce ne sont pas les mêmes clients, le déplacement à vélo supposant une proximité qui rime avec fidélité, et les besoins à satisfaire n’étant a priori pas différents. En déduire que la suppression de la voiture amènerait plus de profit pour les commerçants ne repose sur aucune donnée objective, et ne saurait être un argument orientant des politiques publiques.

La vérité est sans doute que les commerçants ont besoin des deux populations pour atteindre la viabilité économique, particulièrement dans des petites villes n’étant ni universitaires ni touristiques, et que l’achat dit d’impulsion lié au transit (et qui représente jusqu’à 20% du chiffre d’affaires) est tout aussi nécessaire que la part de chiffre d’affaires reposant sur les clients de proximité.

Enfin, pour prévoir ce qui se passerait en cas de suppression du transit automobile dans un centre-ville de petite agglomération, il faudrait connaître la proportion de ceux qui viennent aujourd’hui en voiture et qui viendraient quand même une fois cette option de transport supprimée et ne se tourneraient pas vers une autre destination, ce qu’aucune donnée de cette étude ne permet d’anticiper.

L’exemple des centres commerciaux situés en dérivation des axes de circulation automobile, largement construits dans les années 60-70, largement accessibles aux piétons et aux vélos, mais pas aux voitures, et qui tous ont périclité jusqu’à le plus souvent disparaître, est aussi une donnée objective à prendre en compte. A Fontenay, l’exemple de la vitalité commerciale de la rue Max Dormoy, contrastant avec le déclin du centre commercial Scarron, piéton, en est une parfaite illustration.

Le prix des fonds de commerce aujourd’hui dépend largement du trafic de clients existant devant la devanture, quel que soit leur mode de déplacement. Or les données obtenues dans cette étude sont assez cohérentes avec le fait que pour les grandes agglomérations touristiques, le trafic en centre-ville est équivalent ou meilleur sans voiture, compte-tenu de l’engorgement routier et des nuisances liées à la concentration de voitures, qui est un point commun des grandes villes. Mais il est douteux que ce résultat soit transposable à de petites villes, et certaines expériences récentes de piétonisation dans des petites villes ont rapidement tourné à la catastrophe économique pour certains commerces.

La prise de décisions qui impactent de façon importante la vie quotidienne de nos concitoyens, et la dépense de sommes importantes d’argent public, justifient qu’un minimum de rigueur soit observée et que des études comme celle-ci, qui a le seul mérite d’exister, ne soient pas détournées à des fins de lobbying agressif des pro-vélo.

Notre pays n’échappe pas à la propagation des modes de communication commerciaux anglo-saxons, qui incluent le lobbying comme stratégie commerciale. Installer plus d’infrastructures pour le vélo, c’est aussi développer un marché qui dès à présent pèse plus de 9,6 milliards d’euros dans notre pays. Comment ne pas penser que les industriels de ce secteur ne soient pas en recherche de développement commercial, et qu’une partie des internautes qui militent sous la forme de pseudos anonymes pour le vélo à tout prix dans une logique agressive de guerre aux voitures, fassent aussi partie de cette stratégie finalement assez banalement capitaliste et sans scrupule ?

Dans le cas de notre pays, il faut ajouter la convergence d’intérêt avec certains partis politiques qui exploitent la préoccupation légitime de chacun pour l’environnement à des fins souvent exclusivement électoralistes, sans se préoccuper d’afficher de nombreuses contradictions, comme leur silence assourdissant sur les problèmes liés au recyclage des vélos, ou à la recharge des vélos électriques, problèmes complexes suffisamment importants pour justifier qu’aujourd’hui une recyclerie financée avec de l’argent public soit en projet au territoire VSGP, et sur la trace carbone de ce difficile recyclage ?

Ou comme à Fontenay, lorsque certains, tout à leur « bonneteau » électoraliste, oubliaient de mentionner les conséquences de l’installation de nombreuses pistes cyclables de valeur ajoutée douteuse, surtout dans une ville 30, sur le nombre de places de stationnement pour les riverains…

Les influenceurs, terme français pour désigner ceux qui tirent un revenu financier grâce aux lobbys, ont bien réussi à nous convaincre il y a quelques années que le tanin des vins de Bordeaux était bon pour les artères, et j’ai bien connu une communicante « lobbyiste » dont la mission, rémunérée par une fédération des vins de Bordeaux était de répandre cette notion en interprétant des études scientifiques évoquant la possibilité du bienfait de la faible consommation d’alcool sur la survenue de problèmes cardio-vasculaires… !

Cette étude pose également et surtout deux questions :

La première est le fonctionnement et la nature même de l’ADEME, curieuse agence dont le conseil scientifique est bizarrement constitué pour une bonne part de représentants d’industries en rapport ou ayant un impact sur l’environnement. Une agence qui produit des études qui sont le plus souvent des manifestes de lobbys de la green économie plus que des études ayant un minimum de rigueur scientifique et susceptibles d’être utiles aux décideurs publics.

La deuxième est la nature exacte de certains militants du secteur vélo, dont on aimerait qu’ils manifestent un minimum de transparence, notamment dans les réseaux sociaux, sur leurs liens avec cette activité économique, ou avec leur appartenance politique.

En conclusion je pense utile de préciser que cet article n’est en rien un manifeste anti-vélo. Le rôle d’un élu est d’accompagner les évolutions de la société et les besoins qu’elles génèrent. Ainsi, la ville de Fontenay comme le territoire mettent en œuvre une politique visant à permettre à chacun de choisir le vélo comme mode de déplacement, s’il le souhaite.

Ce choix s’accompagne de nombreux avantages en matière de santé, comme toute pratique sportive individuelle, comme en matière de diversification et de fluidification des transports. De nombreuses mesures et réalisations sont en cours ou en projet : accroissement du nombre de pistes cyclables, dispositifs de stationnement ou de consignes pour les vélos, information et formation à la pratique cycliste, comme les deux écoles de vélo que nous avons mises en place à Fontenay avec JDLC et Far à vélo, recyclerie territoriale…

Mais cette évolution doit se faire au service et dans l’intérêt du plus grand nombre, sans contrainte culpabilisatrice que rien ne justifie, sans être les jouets de lobbys économiques ou politiques, partisans d’un tout, tout de suite, que seuls justifient leur appétit de profit ou leur intérêt électoraliste, et dans le seul souci de l’équilibre et du partage avec les autres modes de déplacement.

C’est notre projet, je le pense raisonnable.

Laurent Vastel