La ville cyclable: le guide "punchy" de Copenhagenize

Auteur: Stein van Oosteren

Date: 31 décembre 2018 08:24

Par: Stein van Oosteren

Certains livres vous montrent le nouveau monde, ou au moins le chemin. C'est le cas du "Guide définitif de l'urbanisme vélo mondial" du Canado-Danois Mikael Colville-Andersen. Le chemin est direct: "Si vous ne voyez pas le vélo comme une partie de la solution, vous faites partie du problème".


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Les 4 cas de figure selon le schéma de Copenhagenize: 0-30 km: vous pouvez mélanger vélos et voitures; 30-50 km/h: bande non séparée; 50-70 km/h: piste séparée; <70 km/h: piste éloignée. Pour les pistes bidirectionnelles: toujours comme itinéraire vélo seul, jamais le long d'une route.


Le titre du livre peut sembler un peu arrogant ("guide définitif") mais c'est son style. Un franc-parler à l'emporte-pièce qui a pour but de simplifier le sujet du vélo qui, selon l'auteur, est rendu trop souvent inutilement compliqué. Avec des formules imagées qui vous choqueront ou vous amuseront, le livre analyse les nombreux obstacles que rencontre la "cyclabilisation" de nos villes. Un guide riche d'exemples du terrain à ne pas rater pour les associations, décideurs, urbanistes et autres personnes qui souhaitent rendre leur ville cyclable.

"Il a fallu moins de deux décennies pour annuler les 7.000 années pendant lesquelles la rue était un espace démocratique pour nous", écrit Colville-Andersen, "et nous en souffrons toujours". Pour remettre le vélo dans la rue, l'auteur attaque et joue au ping-pong avec des idées-reçues sur le vélo. En voici quelques-unes.

"Il n'y a pas la place pour le vélo": C'est une approche anti-démocratique. Il s'agit de re-distribuer l'espace urbain, non pas d'ajouter des vélos dans un dessin déjà usurpé par la voiture depuis 70 ans. Et comment ça, pas la place? Il n'y avait pas la place pour la voiture non plus à l'époque. Pourtant on l'a trouvé sans problème. Maintenant il suffit de faire la même chose pour le vélo. 83% des Français y sont "particulièrement favorables".

"Les cyclistes font n'importe quoi": C'est trop facile. "Il est complètement inacceptable de gronder les cyclistes si la ville ne leur a pas donné une infrastructure de qualité ou, pire, aucune infrastructure du tout. Je ne peux pas punir mes enfants pour avoir volé des biscuits si nous n'avons même pas de boîte à biscuits".

"Il faut des pistes cyclables séparées": Pas forcément. Jusqu'à 30 km/h on peut mélanger vélos et voitures. Mais au-délà de 30 km/h, il faut protéger le cycliste par une bande ou une piste large de 2.30 m. minimum. La règle d'or pour les pistes: il faut pouvoir avoir une conversation à deux à vélo, côte à côte, sans empêcher un vélo-cargo de doubler.

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Les 4 cas de figure selon le schéma de Copenhagenize: 0-30 km: vous pouvez mélanger vélos et voitures; 30-50 km/h: bande non séparée; 50-70 km/h: piste séparée; <70 km/h: piste éloignée. Pour les pistes bidirectionnelles: toujours comme itinéraire vélo seul, jamais le long d'une route.


"On n'a pas besoin de l'expertise des Pays-Bas et du Danemark, on sait faire": Pourquoi perdre du temps et de l'argent si les solutions testées pendant 45 ans sont disponibles? Par fierté? Le résultat: des aménagements "innovateurs" qui ne devraient jamais voir le jour plombent le développement du vélo. Un exemple français (pas mentionné dans le livre): les Champs-Elysées ont failli avoir une piste centrale accidentogène et dysfonctionnelle! Une obstination de vouloir à tout prix réinventer la roue que l'auteur dénonce avec humour: "La saignée était considérée jadis comme une technique d'avant-garde (...). Mais cela ne veut pas dire que ça fonctionnait".

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L'une des nombreuses "conneries" dénoncées par l'auteur: "L'endroit le plus stupide pour mettre des vélos: entre les portières des voitures garées et le trafic".

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Photomontage de la piste cyclable centrale qui a failli voir le jour sur les Champs-Elysées: trop difficile d'y accéder et de la quitter. L'association Paris en Selle a fortement contribué à éviter cette erreur.




"Des pictogrammes, c'est mieux que rien": Oui, on peut se reposer un peu sur une chaise à deux pieds. Mais nous ne sommes pas en train de dessiner une rue pour quelques années; nous développons le transport urbain pour le siècle à venir!

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Des pictogrammes, alors qu'une bande cyclable aurait pu être aménagée pour donner un vrai espace au cycliste. Photo: Rebellyon.info.


"Les motorisés sont des parasites": En effet, c'est le terme. Ils viennent, utilisent le bitume, polluent, n'achètent rien, et rentrent chez eux. Mettez-les plutôt dans un bus ou sur des vélos, et vous transformez cette relation de "parasite" en une relation mutuellement bénéfique avec plus d'opportunités de contribuer à la vie locale des quartiers qu'ils traversent.

"Le vélo électrique est la solution": Attendons de voir. Le vélo électrique est certes utile pour augmenter les distances. Mais en faut-il dans des espaces denses déjà encombrés?  En Chine ils luttent déjà pour remettre les cyclistes sur des vélos classiques, car il y avait trop d'accidents. La ville de Groningen (Pays-Bas) en revanche aménage des pistes spéciales pour des vélos électriques (doorrijroutes). Quoi qu'il en soit, n'oublions pas que le vélo électrique réduit le bénéfice pour la santé de 70%.

"On ne peut rien transporter sur un vélo": Raté! DHL était la première société à comprendre que le vélo-cargo est la solution la plus efficace pour le transport urbain. Dans des villes Européennes, jusqu'à 51% des trajets motorisés peut être effectué à vélo-cargo. Pour une famille, un vélo-cargo peut remplacer une voiture, au moins la deuxième. A Copenhague, 6% des vélos sont des vélo-cargos. "Lorsqu'un partenaire tombe enceinte, l'autre commence à cherche des brochures de vélos-cargos".

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"J'ai 8 enfants à transporter, donc il me faut forcément une grosse voiture". La société Van Raam aux Pays-Bas fabrique des vélos-cargos sur mesure. (Image: Van Raam)


"Pour convaincre, il faut mettre en avant le côté vert du vélo": Oh non, s'il vous plaît. "La protection de l'environnement est la plus grande erreur de marketing de l'histoire de l'homo sapiens".  Ce qui parle aux gens, ce sont les mêmes raisons pour lesquelles ils achètent un aspirateur ou une machine à coudre: "moderne, élégant, facile d'usage". Un conseil: parlez moins de vélo, plus de la ville à rendre agréable, et expliquez comment le vélo peut y contribuer. Et coopérez avec des ONG qui ont le même objectif.

"Les manifestations pro-vélo font changer l'opinion": Plus tellement, hélas. La société a changé: elle a un filtre qui filtre tout ce qui l'irrite. Au lieu de mettre des non-cyclistes en selle, les manifestations du type "masse critique" risquent de creuser la distance entre un petit groupe de cyclistes et "la majorité de non-cyclistes qui les regardent comme des nageurs synchronisés".

Deux messages sont à retenir du livre: l'un d'ordre pratique et l'autre d'ordre politique.

Le message pratique: facilitez! Il faut comprendre que le cycliste ne souhaite qu'une chose très simple: aller de A à B par le chemin le plus court (l'auteur parle de "A2Bism"). Donc pour encourager l'usage du vélo il faut rendre le chemin à vélo le plus court et facile possible et faire l'inverse pour la voiture, comme Groningen dans les années 70. Pour avoir une ville vivable il faut, comme disent les Américains, mettre les rues "au régime".

Le message politique: du leadership! Ce que toutes les villes qui réussissent le vélo ont en commun, est un leadership fort. Les associations peuvent faire leur travail, "mais à la fin de la journée, il semble que les décideurs politiques exerçant un leadership top-down sont les leviers pour le vrai changement" (en citant Paris et Bordeaux). Pour convaincre les décideurs, il suffit de pointer le retour sur investissement colossal des aménagements cyclables pour un prix négligeable: "pour le prix de 5-10 km d'autoroute, mon équipe et moi-même peuvent rendre une ville entière cyclable en 5 ans". Dont acte.

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"Chaque fois que je roule à vélo, je mets 26 centimes directement dans la société". L'explication: les frais colossaux évités en termes de santé et d'heures perdues dans les embouteillages. La voiture en revanche coûte 89 centimes par kilomètre en termes d'infrastructure, d'insécurité routière, de dégâts environnementaux, etc.